La Baumette

Retenus à La Baumette, des êtres s’affairent malgré la vie suspendue qui les entoure. La dizaine d’habitant.es redécouvrent les interstices, les plis et les pourtours de la ferme. On longe les vieux murs, on apprivoise le jardin. Les poules voient leurs habitudes chamboulées et leur confinement s’étendre dans le jardin et sous le vieux marronnier. Le temps s’est épaissi et il montre combien ce dont l’un prend conscience parle souvent à l’autre.

Les liens se resserrent. C’est une expérience de vie autre, un îlot émerge dans ce monde périmé : habiter, manger, travailler et échanger autrement. On s’endort au chant des grenouilles et on se lève avec celui des mésanges. Cette expérience réelle descend dans nos corps. Rien ne la remplace dans un lieu où l’on coupe son bois pour faire la charpente d’un hangar commun.

En écoutant ces personnages photographiés ne serait-ce que par besoin d’échanges, une rage indispensable afin d’envisager un autre avenir émerge dans les dialogues. Mais cette rage, il faut l’apprivoiser et la transformer en rage du sage. La plupart de nos relations au vivant ont été coupées. En nous et hors de nous. On a tranché nos liens avec la vie, avec les animaux, les forêts, et même avec le cœur physique de notre vitalité. Cette sensibilité du corps au monde, cette chair vibrante est désormais épaissie comme un mauvais cuir par nos abris modernes. On accède au monde par une chrysalide de fibres optiques. Et on confond la vibration de ses fils avec les vibrations du dehors.

Une approche rationnelle de cette situation est vite asséchante si on ne l’articule pas à des imaginaires donnant la force de changer le monde. Des idées, des sensations et des perceptions qui nous arrachent à nos habitudes redonnent une puissance à nos désirs mutilés ; des univers qui activent l’envie de vivre autrement en prenant ce monde-ci à bras-le-corps. C’est une croissance de nos disponibilités, de nos lenteurs et de nos liens. On retrouve cette chair, ce magnétisme des corps, cette vibration de l’échange incarné. Aucune application ne remplace le face à face.

Les images de Yann Laubscher sont un espace entre deux respirations, une pause. Un regard qui laisse à penser, qui donne envie de s’arrêter et de penser. Les photographies créent un récit de l’alternatif imaginaire mettant en scène des personnages auxquels on s’identifie et qui deviennent des vecteurs affectifs qui nous engagent. La plasticité de cette réaction collective dévoilée engendre des solidarités multiples. Le partage est repensé et en résistant à la peur, on inverse son imaginaire. On encourage, on redonne courage. C’est le désir qui change le monde, plus que les idées, aussi belles soient-elles.

Held at La Baumette, people are busy despite the suspended life surrounding them. The dozen inhabitants rediscover the interstices, folds and edges of the farm. We walk along the old walls, we tame the garden. The hens see their habits turned upside down and their confinement spreads out in the garden and under the old chestnut tree. Time has thickened and it shows how much what one becomes aware of often speaks to the other.

Bonds are tightening. It is a different life experience, an island emerges in this outdated world: living, eating, working and connecting differently. We fall asleep to the frogs croaking and wake up to the chickadees singing. This real experience flows through our bodies. Nothing replaces it in a setting where we cut our wood to make the framework of a shared shed.

Listening to these photographed characters, if only out of a need for kinship, an indispensable rage to imagine another future emerges in the dialogues. But this rage must be tamed and transformed into the rage of the wise. Most of our relationships with the living have been cut off. Inside us and outside us. We have severed our links with life, with animals, with forests, and even with the physical heart of our vitality. This sensitivity of the body to the world, this vibrant flesh is now thickened like bad leather by our modern shelters. The world is accessed through a fibre-optic chrysalis. And we confuse the vibration of its threads with the vibrations of the outside.

A rational approach to this situation is quickly draining if it is not articulated with imaginations that give us the strength to change the world. Ideas, sensations and perceptions that tear us away from our habits give power to our mutilated desires; universes that activate the desire to live differently by taking this world by storm. It is a growth of our availability, our slowness and our ties. We find this flesh, this magnetism of the bodies, this vibration of the incarnated exchange. No application replaces face-to-face.

Yann Laubscher's images are a space between two breaths, a pause. A glance that leaves you wondering, that makes you want to stop and think. The photographs create a narrative of the imaginary alternative, featuring characters with whom we identify and who become emotional vectors that engage us. The plasticity of this revealed collective reaction generates multiple solidarities. Sharing is reshaped and, by resisting fear, one reverses one's imagination. We encourage, we give courage. It is desire that changes the world, more than ideas, however beautiful they may be.